L’arrestation d’Arsène Lupin, texte de Maurice Leblanc adapté en français facile. Écoutez aussi les dents du tigre ( version originale ) partie 1.
L’étrange voyage ! Nous étions alors dans « la Provence » un navire de croisière transatlantique. Le confort du paquebot et son équipage affable rendait le voyage très agréable. Une nouvelle allait pourtant troubler le doux voyage qui se promettait à nous. Dès le deuxième jour de voyage, alors que nous étions à cinq cents milles des côtes françaises, par un après-midi orageux, on nous transmettait une dépêche par télégraphe dont voici la teneur :
«Arsène Lupin à votre bord, première classe, cheveux blonds, blessure à l’avant-bras droit, voyage seul, sous le nom de R… »
Et à ce moment précis, un coup de tonnerre violent éclata dans le ciel sombre. Les ondes électriques furent interrompues. La dépêche resta incomplète. On ne savait donc que la première lettre du nom sous quel nom se cachait Arsène Lupin. Très vite tout le monde sur la Provence savait que le fameux Arsène Lupin se cachait à bord.
Arsène Lupin est parmi nous ! l’insaisissable cambrioleur dont on racontait les prouesses dans tous les journaux depuis des mois ! l’énigmatique personnage avec qui le vieux Ganimard, notre meilleur policier, avait engagé ce duel à mort ! Arsène Lupin, le fantaisiste gentleman qui n’opère que dans les châteaux et les salons, et qui, une nuit, où il avait pénétré chez le baron Schormann, en était parti les mains vides et avait laissé sa carte, le message suivant :
« Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, reviendra quand les meubles seront authentiques. »
Arsène Lupin, l’homme aux mille déguisements : il avait été chauffeur, ténor, bookmaker, adolescent, vieillard, commis-voyageur marseillais, médecin russe, torero espagnol !
Il fallait bien comprendre qu’Arsène Lupin pouvait être n’importe où dans le cadre étroit de ce bateau où les passagers et l’équipage se retrouvaient dans la salle à manger, dans le salon, dans le fumoir ! Arsène Lupin, c’était peut-être ce monsieur… ou celui-là… mon voisin de table… mon compagnon de cabine…
– Et cela va durer encore cinq fois vingt-quatre heures ! s’écria le lendemain miss Nelly Underdown, mais c’est intolérable ! J’espère bien qu’on va l’arrêter.
Et s’adressant à moi :
– Vous ne savez rien ?
J’aurais bien voulu savoir quelque chose pour plaire à miss Nelly ! C’était une de ces femmes magnifiques qui, partout où elles sont, occupent aussitôt la place la plus en vue. Leur beauté autant que leur fortune éblouit. Elles ont autour d’elles une cour, des admirateurs, des enthousiastes.
Élevée à Paris par une mère française, elle a rejoint son père, le richissime Underdown, de Chicago. Elle était accompagnée de lady Jerland, une de ses amies.
Comme tout le monde, j’avais été troublé par son charme et nous avions sympathisé. Elle riait de mes plaisanteries, s’intéressait à mes anecdotes.
– Je ne sais rien de précis, mademoiselle, lui répondis-je, mais rien ne nous empêche d’enquêter nous-même.
– Oh ! oh ! vous vous avancez beaucoup !
– En quoi donc ? Le problème est-il si compliqué ?
– Très compliqué.
– C’est que vous oubliez les éléments que nous avons pour le résoudre.
– Quels éléments ?
– Premièrement, Lupin se fait appeler monsieur R…
– Signalement un peu vague.
– Deuxièmement, il voyage seul.
– Si cette particularité vous suffit.
– Et troisièmement, il est blond.
– Et alors ?
– Alors nous n’avons qu’à consulter la liste des passagers et à procéder par élimination.
J’avais justement cette liste dans ma poche.
– Je note d’abord qu’il n’y a que treize personnes que leur initiale désigne à notre attention.
– Treize seulement ?
– En première classe, oui. Sur ces treize messieurs R…, neuf sont accompagnés de femmes, d’enfants ou de domestiques. Quatre personnes seulement sont isolées : le marquis de Raverdan…
– Je le connais. Il est Secrétaire d’ambassade, dit miss Nelly.
– Le major Rawson…
– C’est mon oncle, dit quelqu’un.
– M. Rivolta…
– Présent, s’écria l’un de nous, un Italien à la barbe noire.
Miss Nelly éclata de rire.
– Monsieur n’est pas précisément blond.
– Alors, repris-je, nous sommes obligés de conclure que le coupable est le dernier de la liste.
– C’est-à-dire ?
–C’est-à-dire M. Rozaine. Quelqu’un connaît-il M. Rozaine ?
On se tut. Mais miss Nelly, interpellant le jeune homme taciturne dont l’assiduité près d’elle me tourmentait, lui dit :
– Eh bien, monsieur Rozaine, vous ne répondez pas ? On tourna les yeux vers lui. Il était blond.
Avouons-le, je sentis comme un petit choc au fond de moi. Et le silence gêné qui pesa sur nous m’indiqua que les autres assistants éprouvaient aussi cette sorte de suffocation. C’était absurde d’ailleurs, car rien dans les allures de ce monsieur ne permettait qu’on le suspectât.
– Pourquoi je ne réponds pas ? dit-il, mais parce que, vu mon nom, ma qualité de voyageur isolé et la couleur de mes cheveux, j’ai déjà procédé à une enquête analogue et que je suis arrivé au même résultat. Je suis donc d’avis qu’on m’arrête.
Il avait un drôle d’air, en prononçant ces paroles. Ses lèvres minces comme deux traits inflexibles s’amincirent encore et pâlirent. Des filets de sang strièrent ses yeux.
Certes, il plaisantait. Pourtant sa physionomie, son attitude nous impressionnèrent. Naïvement, miss Nelly demanda :
– Mais vous n’avez pas de blessure ?
– Pas de blessure, non.
D’un geste nerveux il releva sa manche de chemise et découvrit son bras. Mes yeux croisèrent ceux de miss Nelly : il avait montré le bras gauche. C’est au moment où j’allais lui en faire la remarque, qu’ un incident détourna notre attention. Lady Jerland, l’amie de miss Nelly, arrivait en courant.
– Mes bijoux, mes perles ! on m’a tout pris !
Non, on ne lui avait pas tout pris, nous l’avons compris par la suite ; chose bien plus curieuse : le voleur n’avait pas exactement pris les bijoux. Il en avait ôté les pierres les plus précieuses, les plus petites, les plus fines et laissé les plus grosses. Laissant leurs montures, bracelets et colliers, sur la table. Il avait donc traversé un couloir très fréquenté, en plein jour, fracturé la porté de la cabine, trouvé le petit sac de lady Jerland et tout ça pendant l’heure où elle prenait le thé.
C’était forcément l’oeuvre d’Arsène Lupin, cela ne faisait aucun doute.
Le soir même, Rozaine fut convoqué par le commandant et arrêté au grand soulagement des passagers et de l’équipage tous persuadé que Rozaine était Arsène Lupin. Mais il était libre dès le lendemain, faute de preuve. Ses papiers étaient en règle et ses bras ne portaient aucun trace de blessure.
Sur le bateau, les avis étaient partagés : Arsène Lupin n’auraient eu aucun mal à fournir de faux papier et maquiller une blessure au bras. Pour d’autres, Rozaine ne pouvait pas être le coupable puisqu’on l’avait aperçu sur le pont du bateau au moment du vol. Pourtant, qui sinon Rozaine voyageait seul ? Qui sinon Rozaine était blond et avait un nom commençant par R ?
Rozaine ne tarda à réagir aux accusation en proposant 10 000 francs à qui démasquerait Arsène Lupin, ou trouverait le possesseur des pierres dérobées.
Pendant deux longues journées Rozaine se mêlait au personnel, questionnait, cherchait. On aperçut son ombre, la nuit, qui rôdait.
Le commandant fit fouiller la Provence, toutes les cabines, sans exception, sous le prétexte fort juste que les objets étaient cachés dans n’importe quel endroit, sauf dans la cabine du coupable.
– On finira bien par découvrir quelque chose, n’est-ce pas ? me demandait miss Nelly. Lupin ne peut pas rendre des diamants et des perles invisibles.
– Il en est bien capable, croyez-moi !
– Mais il a bien dû laisser derrière lui un indice.
– Pas Arsène Lupin.
– Au début, vous étiez plus confiant.
– Mais depuis, je l’ai vu à l’œuvre.
– Et alors, selon vous ?
– Selon moi, on perd son temps.
Et alors que les recherches étaient sans résultat, la montre du commandant lui fut volée.
Ce dernier, furieux, surveilla de plus près encore Rozaine avec qui il avait eu plusieurs entrevues. Le lendemain, ironie charmante, on retrouvait la montre parmi les faux cols du commandant en second.
Tout cela avait un air de prodige, et dévoilait bien qui était Arsène Lupin, un cambrioleur, certes, mais qui ne manquait pas d’humour. Un homme qui prenait autant de plaisir à commettre le vol qu’à l’imaginer. Un artiste en son genre. En regardant le sombre Rozaine,
Décidément, c’était un artiste en son genre, et quand j’observais Rozaine, si sombre si opiniâtre, et que je songeais au rôle d’acteur auquel se livrait Lupin.
La nuit suivante, on retrouva Rozaine, étendu, la tête enveloppée dans une écharpe grise très épaisse, les poignets ficelés à l’aide d’une fine cordelette. On lui délia les main, le releva, et on lui apporta les soins nécessaires.
Il avait été assailli terrassé et dépouillé pendant une de ses rondes nocturne. Une carte de visite fixée par une épingle à son vêtement portait ces mots :
« Arsène Lupin accepte avec reconnaissance les dix mille francs de M. Rozaine. »
En réalité, le portefeuille dérobé contenait vingt billets de mille.
Naturellement, on accusa Rozaine d’avoir simulé cette attaque contre lui-même. Mais, on compris très vite qu’il lui aurait été été impossible de se s’attacher de cette façon. Par ce geste, Lupin lavait Rozaine de tout soupçon et la peur s’installa à nouveau sur la Provence.
Les passagers ne voulait plus rester seul dans leur cabine et suspectaient tout le monde d’être Arsène Lupin.
Cette situation n’avait pas que des inconvénients. Miss Nelly s’était rapproché de moi et nous ne nous quittions plus.
Le doute rendait déraisonnable. On supposait Lupin capable de prendre n’importe quelle apparence : tant celle d’un homme que d’une femme, l’allure d’un vieillard, l’innocence d’un enfant. Le dernier jour semblait sans fin. Chacun vivait dans l’attente d’un malheur.
Le bateau arriva enfin au port. Enfin, on saurait qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin.
La passerelle s’abattit. Et des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uni- forme, des facteurs…
– Je ne serais pas surprise qu’ Arsène Lupin se soit échappé pendant la traversée, dit Miss Nelly.
– Vous voyez ce vieux petit homme debout à l’extrémité de la passerelle ?
– Avec un parapluie et une redingote vert-olive ?
– C’est Ganimard.
– Ganimard ?
– Oui, le célèbre policier, celui qui a juré qu’Arsène Lupin serait arrêté de sa propre main. Ah ! je comprends que l’on n’ait pas eu de renseignements de ce côté de l’Océan.
Ganimard était là. Il aime bien que personne ne s’occupe de ses petites affaires.
– Alors Arsène Lupin est sûr d’être surpris ? demanda Miss Nelly.
– Qui sait ? Ganimard ne l’aurait vu que maquillé et déguisé. À moins qu’il n’ait d’autres informations.
–Ah! nous allons peut-être assister à l’arrestation, alors. Tout cela est tellement excitant.
– Patientons. Arsène Lupin a problablement remarqué la présence de Ganimard.
Le débarquement commença. Appuyé sur son parapluie, l’air indifférent, Ganimard ne semblait pas prêter attention à la foule qui se pressait entre les deux balustrades. Je notai qu’un officier du bord, posté derrière lui, le renseignait de temps à autre.
Le marquis de Raverdan, le major Rawson, l’Italien Rivolta défilèrent, et d’autres, et beaucoup d’autres… Et j’aperçus Rozaine qui s’approchait. Pauvre Rozaine ! Il semblait enore si troublé par cette traversée !
– C’est peut-être lui tout de même, me dit miss Nelly… Qu’en pensez-vous ?
– Je pense qu’il serait fort intéressant d’avoir sur une même photo Ganimard et Rozaine. Prenez donc mon appareil, je suis si chargé.
Je le lui donnai, mais trop tard pour qu’elle s’en servît. Rozaine passait. L’officier se pencha à l’oreille de Ganimard, celui- ci haussa légèrement les épaules, et Rozaine passa.
– Mais alors, mon Dieu, qui était Arsène Lupin ?
– Oui, fit-elle à haute voix, qui est-ce ?
Ganimard leva la main.
– Un instant, dit-il une voix plus impérieuse.
Il me dévisagea profondément, puis il me dit, les yeux dans les yeux :
– Arsène Lupin, n’est-ce pas ?
– Non, je suis Bernard d’Andrésy.
– Bernard d’Andrésy est mort il y a trois ans en Macédoine.
– Regardez mes papiers, je suis tout ce qu’il y a de plus vivant.
– Ce sont les siens. Eh bien, il faudra aussi nous expliquer comment vous vous les êtes procurés.
– Mais vous êtes fou ! Arsène Lupin s’est embarqué sous le nom de R.
– Oui, encore un de vos trucs. Mais ça ne prend pas avec moi. Voyons, Lupin, soyez beau joueur.
J’hésitai une seconde. D’un coup sec il me frappa sur l’avant-bras droit. Je poussai un cri de douleur. Il avait frappé sur la blessure encore mal fermée que signalait le télégramme.
J’étais pris. Miss Nelly écoutait, livide, chancelante. Elle me regarda, puis regarda l’appareil photo que je lui avait confié. Elle fit un geste brusque, elle venait de comprendre. Elle s’était vu remettre vingt mille francs, les perles et les diamants avant que Ganimard m’atrappe, car il allait m’attraper.
Je me demandais à cette instant si Miss Nelly me trahirait et donnerait la preuve de mon larcin à Ganimard.
Elle passa devant moi. Je la saluai très bas, sans un mot. Mêlée aux autres voyageurs, elle se dirigea vers la passerelle, mon appareil photo à la main.
Elle n’a peut-être pas osé de le faire devant tout le monde, elle attendra un peu avant de le remettre à la police. Mais dans un mouvement de maladresse simulé, elle laissa tomber le boîtier dans l’eau.
🍀 ACTIVITÉS 🍀
🔷 QCM (Choix Multiples)
- Quelle était la destination du voyage ?
- A) Les côtes françaises
- B) Chicago
- C) Transatlantique
- D) Macédoine
- Comment Arsène Lupin est-il décrit dans la dépêche ?
- A) Brun avec une cicatrice
- B) Blond avec une blessure à l’avant-bras droit
- C) Chauve avec un tatouage
- D) Roux avec un bracelet
- Qui est le vieux Ganimard ?
- A) Un passager clandestin
- B) Le commandant du bateau
- C) Un célèbre policier
- D) Un serveur à bord
- Quel indice Arsène Lupin a-t-il laissé après avoir dévalisé quelqu’un ?
- A) Un gant
- B) Une carte de visite
- C) Un chapeau
- D) Un message codé
- Quelle est la réaction de Miss Nelly en fin de récit ?
- A) Elle révèle l’identité d’Arsène Lupin
- B) Elle tombe amoureuse du narrateur
- C) Elle jette le boîtier dans l’eau
- D) Elle est arrêtée par la police
🔷 Vrai/Faux
- Le voyage se déroule sur un bateau appelé « la Provence ».
- Arsène Lupin voyage sous son vrai nom.
- Miss Nelly est originaire de Chicago.
- Rozaine a été trouvé avec une blessure à l’avant-bras droit.
- Le vol a eu lieu pendant l’après-midi orageux.
🔷 Questions Ouvertes
- Décrivez les circonstances sous lesquelles la nouvelle de la présence d’Arsène Lupin à bord est révélée aux passagers.
- Quelles sont les caractéristiques qui distinguent Arsène Lupin des autres passagers selon la dépêche reçue ?
- Comment Miss Nelly et le narrateur ont-ils commencé leur enquête sur Arsène Lupin ?
- Pourquoi les passagers et l’équipage étaient-ils initialement convaincus que Rozaine était Arsène Lupin ?
- Quel est le dénouement de l’histoire et comment Miss Nelly réagit-elle face à la situation finale ?