Libre adaptation en français facile du livre de Maurice Leblanc « Arsène Lupin gentleman-cambrioleur ».
Dans le chapitre précédent, Arsène Lupin s’est fait arrêté par Ganimar, le policier. Lupin est maintenant en prison.
Sur une île de la Seine, relié à route par un pont à une arche, le château de Mallaquis fait la joie des touristes. Son histoire ne fut que combats, sièges, assauts, rapines et massacres.
C’est là qu’habite le baron Nathan Cahorn, un homme qui s’est enrichi grâce à la bourse. Il y a installé sa précieuse collection d’objet d’art. Il y vit seul, avec trois vieux domestiques. Personne n’y pénètre jamais. Personne n’a jamais admiré ses trois Rubens, ses deux Watteau, et toutes les autres merveilles de sa collection.
Le baron a peur. Il aime sa collection plus que tout et craint par dessus tout que quelqu’un vienne le voler. Alors, il s’enferme dans son château chaque soir dans la peur d’être volé pendant la nuit.
Un vendredi de septembre, le facteur se présenta comme à son habitude à l’entrée et sonna.
– J’ai une lettre recommandée pour vous.
– Une lettre ?
Le baron ne recevait jamais de lettres. Personne ne s’intéressait à lui et cette lettre lui sembla alors annoncer un événement de mauvais augure. Qui pouvait bien lui envoyer une lettre ?
– Il faut signer, monsieur le baron.
Il signa, prit la lettre, attendit un peu, et ouvrit l’enveloppe. À l’intérieur, une feuille de papier avec en-tête manuscrit :
Prison de la Santé, Paris.
Il regarda la signature :
Arsène Lupin.
Stupéfait, il en commença la lecture :
Monsieur le baron,
Il y a, dans votre collection un tableau de Philippe de Champaigne qui me plaît infiniment. Vos Rubens ainsi que votre plus petit Watteau me plaisent également beaucoup. Dans le salon de droite, je note la crédence Louis XIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacob et le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine des bijoux et des miniatures.
Ce sera tout pour cette fois. Je vous demande de les emballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé), en gare des Batignolles, avant huit jours… sinon je procéderai moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27 au jeudi 28 septembre, auquel cas j’en profiterai pour prendre d’autres objets.
Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, et accepter l’expression de mes sentiments de respectueuse considération.
Arsène Lupin.
P.-S. Surtout ne pas m’envoyer le plus grand des Watteau. Quoique vous l’ayez payé trente mille francs à l’Hôtel des Ventes, ce n’est qu’une copie, l’original ayant été brûlé, sous le Directoire, par Barras, un soir d’orgie. Je vous invite à consulter les Mémoires inédits de Garat. Je ne tiens pas non plus à la châtelaine Louis XV dont l’authenticité me semble douteuse.
Cahorn était bouleversé. Il connaissait Lupin à travers les journaux. Il savait que Ganimard l’avait arrêté et qu’il était derrière les barreaux. Mais on pouvait s’attendre à tout avec Lupin. D’ailleurs, comment connaissait-il tous ces détails sur la disposition des meubles, des tableaux ? La forteresse de Malaquis pouvait-elle résister à Lupin ?
Il fallait réagir ! Le baron décida de demander de l’aide à Ganimard lui-même. En effet, il était le seul à pouvoir déjouer les pièges du célèbre cambrioleur. Il alla donc trouver Ganimard qui le reçut.- Lupin n’est pas du genre à prévenir ses futures victimes.
– Mais…
– Désolé, mais Lupin est en prison. Je ne peux rien faire pour vous.
– Mais s’il s’échappe ?
– Personne ne s’échappe de la prison de la Santé. Et s’il s’échappait, ce serait tant mieux. Je le l’attraperai à nouveau !
Après cet entretien avec Ganimard, le baron retourna chez lui. Il vérifia les serrures, espionna les domestiques, et quarante-huit heures se passèrent pendant lesquelles il arriva presque à se persuader qu’il n’y avait rien à craindre.
mardi 26 septembre, quinze heures
Un enfant sonna à la porte une lettre à la main.
« N’ayant pas reçu votre colis, je vous informe que m’occuperai personnellement du déménagement. À demain, Arsène. »
Le baron était en sueur, devait-il céder sous la menace ? Il se précipita chez Ganimard.
– Oui ?
– Le cambriolage est pour bientôt !
– Il ne se passera rien, rassurez-vous !
– Accepteriez-vous de venir dormir au château demain soir ? Vous seul êtes capable d’arrêter Lupin.
– Il n’en est pas question.
– Je vous paierai ! Et Le baron sortit une liasse de billets. Personne n’en saura rien. Vous passez la nuit au château, et si rien ne se passe comme vous le dites, eh bien ! tant mieux. Acceptez cet argent comme un dédommagement. Je n’en parlerai à personne.
– C’est d’accord. Mais connaissant Lupin, il doit avoir des complices. Peut-être parmi vos domestiques. Je viendrai avec mes hommes.
mardi 27 septembre, 20 h 30
Le baron dit à ses domestiques qu’ils pouvaient partir. Ganimard arriva comme prévu accompagné de deux personnes de confiance. Il fit immédiatement un repérage et ferma soigneusement toutes les portes et fenêtres. Il vérifia chaque salle, chaque mur. Il regarda derrière toutes les tapisseries. Il souleva chaque tapis.
Il avait choisi, pour y passer la nuit, une petite pièce située dans l’épaisseur des murailles d’enceinte, entre les deux portes principales, et qui était, autrefois, la cabine du veilleur. Un judas s’ouvrait sur le pont, un autre sur la cour. Dans un coin on apercevait comme l’orifice d’un puits.
– Vous m’avez bien dit, monsieur le baron, que ce puits était l’unique entrée des souterrains, et que cette entrée est bouchée ?
– Oui.
– Donc, à moins qu’il n’existe une autre issue ignorée de tous, nous sommes tranquilles.
Le baron, inquiet, se penchait sur le puits et en regardait le fond. Onze heures, minuit, une heure sonnèrent. Puis vint le petit matin.
– Les tableaux !… la crédence !… les murs vides, le Watteau, disparu ! Les Rubens, enlevés ! Les tapisseries, décrochées ! Les vitrines, vidées de leurs bijoux !
– Et mes candélabres Louis XVI !… et le chandelier du Régent et ma Vierge du douzième !
Ganimard examinait les choses. Les fenêtres ? fermées. Les serrures des portes ? intactes. Pas de brèche au plafond. Pas de trou au plancher. L’ordre était parfait. Tout cela avait dû s’effectuer méthodiquement, d’après un plan inexorable et logique.
Soudain, Ganimard bondit sur les deux agents, il les injuria, mais ils ne bougeaient pas et restaient endormis. Il les observa avec attention : ils dormaient, mais d’un sommeil qui n’était pas naturel.
Il dit au baron :
– On les a endormis.
– Mais qui ?
– Mais Lupin bien sûr !
– Alors, je suis perdu, il n’y a rien à faire.
Les deux agents reprenaient peu à peu connaissance. Ils ne se souvenaient de rien.
– Vous avez dû voir quelqu’un ?
– Non.
– Et vous n’avez pas bu ?
Ils réfléchirent, et l’un d’eux répondit :
– Moi j’ai bu un peu d’eau.
– De l’eau de cette carafe ?
– Oui.
– Moi aussi, déclara le second.
Ganimard la sentit, la goûta. Elle n’avait aucun goût spécial, aucune odeur.
Le jour même, une plainte en vol qualifié était déposée par le baron Cahorn contre Arsène Lupin, détenu à la Santé !
Cette plainte, le baron la regretta souvent quand il vit le Malaquis livré aux gendarmes, au procureur, au juge d’instruction, aux journalistes, à tous les curieux qui s’introduisent partout où ils ne devraient pas être.
L’affaire passionnait déjà l’opinion. Elle se produisait dans des conditions si particulières, et le nom d’Arsène Lupin excitait à tel point les imaginations que les histoires les plus fantaisistes remplissaient les colonnes des journaux.
Mais c’est la lettre initiale d’Arsène Lupin, que publia l’Écho de France, qui causa une émotion considérable, cette lettre où le baron Cahorn était effrontément prévenu de ce qui le menaçait.
On fouilla le château de fond en comble pour trouver les fameux souterrains. À la lueur des torches on examina les caves immenses où les seigneurs du Malaquis entassaient autrefois leurs munitions et leurs provisions. Mais personne ne découvrit le moindre souterrain. Il n’existait aucun passage secret dans le château.
S’il n’y a pas de souterrain, alors comment les meubles et des tableaux ont-il pu disparaître ? Pour les faire sortir, les voleurs ont forcément utilisé des portes ou des fenêtres. Les objets et les gens ne s’évanouissent pas comme des fantômes. Qui sont ces gens ? Comment sont-ils entré dans le château ? Et comment sont-ils sortis ?
Le parquet de Rouen envoya ses enquêteurs les plus compétent, il sollicita le secours d’agents parisiens. Le chef de la Sûreté, M. Dudouis, lui-même, fit un séjour de quarante-huit heures au Malaquis. Il ne réussit pas davantage. C’est alors qu’il demanda à l’inspecteur Ganimard dont il avait eu si souvent l’occasion d’apprécier les services de reprendre l’enquête.
Ganimard écouta silencieusement les instructions de son supérieur, puis, hochant la tête, il prononça :
– Je crois que l’on fait fausse route en s’obstinant à fouiller le château. La solution est ailleurs.
– Et où donc ?
– Auprès d’Arsène Lupin.
– Auprès d’Arsène Lupin ! Supposer cela, c’est admettre son intervention.
– Je l’admets. Bien plus, je la considère comme certaine.
– Voyons, Ganimard, c’est absurde. Arsène Lupin est en prison.
– Arsène Lupin est en prison, soit. Il est surveillé, je vous l’accorde. Mais il aurait les fers aux pieds, les cordes aux poignets et un bâillon sur la bouche, que je ne changerais pas d’avis.
– Et pourquoi cette obstination ?
– Parce que, seul, Arsène Lupin est de taille à élaborer un tel plan, et à faire en sorte qu’il réussisse.
– Et vous feriez quoi ?
– Je commencerais par vous demander l’autorisation de passer une heure avec lui.
– Dans sa cellule ?
– Oui. Au retour d’Amérique nous avons entretenu, pendant la traversée, d’excellents rapports, et j’ose dire qu’il a quelque sympathie pour celui qui a su l’arrêter. S’il peut me renseigner sans se compromettre, il n’hésitera pas à m’éviter un voyage inutile.
Il était un peu plus de midi lorsque Ganimard rencontra Arsène Lupin dans sa cellule. Celui-ci, étendu sur son lit, leva la tête et poussa un cri de joie.
– Quelle surprise. Ce cher Ganimard, ici !
– Bonjour Arsène.
– Quel plaisir de te revoir.
– Trop aimable.
– Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une visite ?
– L’affaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour.
– Halte-là ! une seconde… C’est que des affaires, j’en ai beaucoup ! Ah ! oui, l’affaire Cahorn, le château du Malaquis…
– La lettre, le télégramme, c’était toi ?
– Bien sûr ! Je dois en avoir gardé les récépissés. Tiens, les voici.
– Tu lis les journaux, tu as des récépissés sur toi… tu n’es donc pas fouillé par tes gardiens ?
– Si, mais il est si simple de les tromper.
– Allons, raconte-moi l’aventure, dit Ganimard amusé.
– Oh ! Je ne vais quand même pas te dévoiler mes petits secrets si facilement…
– Que penses-tu de ma lettre au baron ?
– C’est pour épater la galerie !
– Tu ne comprends donc rien. Tu es donc comme le baron. Cette lettre est le point de départ indispensable. Le château est rigoureusement fermé, barricadé. Vais-je tenter l’assaut comme autrefois, à la tête d’une troupe d’aventuriers ?
– Enfantin !
– Vais-je m’y introduire sournoisement ?
– Impossible.
– Reste un moyen, l’unique à mon avis, c’est de me faire inviter par le propriétaire du château.
– Le moyen est original.
– Et combien facile ! Supposons qu’un jour, le propriétaire reçoive une lettre, l’avertissant qu’Arsène Lupin, cambrioleur réputé prépare un cambriolage, chez lui !
– Il enverra la lettre au procureur.
– Il enverra la lettre au procureur qui se moquera de lui, puisque Lupin est actuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme, lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, non ?
– Certainement !
– Et s’il lui arrive de lire dans le journal qu’un policier célèbre vit dans la localité voisine.
– Il ira s’adresser à ce policier.
– Tu l’as dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévision de cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de ses amis de s’installer à Caudebec, d’entrer en relations avec un rédacteur du Réveil, journal auquel est abonné le baron, de laisser entendre qu’il est Ce fameux policier, que se passerait-il ?
– Le rédacteur annoncera dans Le Réveil la présence à Caudebec du fameux policier.
– Et dans ce cas, ou bien le Cahorn ne réagit pas, et alors rien ne se passe. Ou bien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moi l’assistance de l’un de mes amis.
– De plus en plus original.
– Bien entendu, le faux policier refuse d’abord son aide. Arsène Lupin envoie une nouvelle lettre de menace qui épouvante le baron. Le baron supplie de nouveau mon ami, et va jusqu’à lui offrir de l’argent. L’ami accepte finalement l’offre, amène deux complices, qui, la nuit, déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et les laissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petite chaloupe. C’est simple comme Lupin.
– Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je ne saurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniosité des détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pour que son nom ait pu attirer le baron à ce point.
Il y en a un, et il n’y en a qu’un.
Lequel ?
Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin, bref, de l’inspecteur Ganimard.
– Moi !
– Toi-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux : si tu vas là-bas et que le baron se décide à causer, tu finiras par découvrir que ton devoir est de t’arrêter toi-même, comme tu m’as arrêté en Amérique. Hein ! la revanche est comique : je fais arrêter Ganimard par Ganimard !
Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, se mordait les lèvres.
– Mais sois tranquille, mon cher Ganimard, tu n’iras pas là- bas. Je vais te révéler une chose qui te stupéfiera : l’affaire Cahorn est sur le point d’être classée.
– Hein ?
– Sur le point d’être classée, te dis-je.
– Allons donc, je quitte à l’instant le chef de la Sûreté.
– Et après ? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi sur ce qui me concerne ? Tu apprendras que Ganimard – excuse-moi – que le pseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron. Celui-ci, et c’est la raison principale pour laquelle il n’a rien avoué, l’a chargé de la très délicate mission de négocier avec moi une transaction, et à l’heure présente, moyennant une certaine somme, il est probable que le baron est rentré en possession de ses chers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc, plus de vol. Donc, il faudra bien que le parquet abandonne…
Ganimard considéra le détenu d’un air stupéfait. – Et comment sais-tu tout cela ?
– Je viens de recevoir la lettre que j’attendais.
– Tu viens de recevoir une lettre ?
Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s’était dissipée. Il réfléchit quelques secondes, embrassa d’un coup d’œil toute l’affaire, pour tâcher d’en découvrir le point faible. Puis il prononça d’un ton où il laissait franchement percer son admiration de connaisseur :
– Par bonheur, il n’en existe pas des douzaines comme toi, sans quoi il n’y aurait plus qu’à fermer boutique.
Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit :
–Bah! il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs… d’autant que le coup ne pouvait réussir que si j’étais en prison.
– Comment ! s’exclama Ganimard, ton procès, ta défense, l’instruction, tout cela ne te suffit donc pas pour te distraire ?
– Non, car j’ai décidé de ne pas assister à mon procès.
– Oh ! oh !
Arsène Lupin répéta posément :
– Je n’assisterai pas à mon procès.
– C’est ce que tu crois !
– Ganimard, affirma Lupin, nous sommes aujourd’hui vendredi. Mercredi prochain, j’irai fumer mon cigare chez toi, rue Pergolèse, à quatre heures de l’après-midi.
– Arsène Lupin, je t’attends.
Ils se serrèrent la main comme deux bons amis qui s’estiment à leur juste valeur, et le vieux policier se dirigea vers la porte.
– Ganimard ! Celui-ci se retourna.
– Qu’y a-t-il ?
– Ganimard, tu oublies ta montre.
– Ma montre ?
– Oui, c’est bizarre, je l’ai trouvée dans ma poche. Pardonne-moi… une mauvaise habitude… Je n’ai aucune excuse, j’en ai déjà une qui est très bien.
Il sortit du tiroir une large montre en or.
– Et celle-ci, de quelle poche vient-elle ? demanda Ganimard.
Arsène Lupin examina négligemment les initiales.
– J. B… Qui cela peut-il bien être ?… Ah ! oui, je me souviens, Jules Bouvier, mon juge d’instruction, un homme charmant…